L’écriture

En tant que femme, je me pose des questions sur le passé, le présent et l’avenir,
me demandant souvent ce que je laisse à ma fille qui a aujourd’hui 16 ans.
ChRistina CRevillén


En 1900, les femmes se prostituaient parce qu’elles n’avaient pas le choix. C’était le seul moyen de s’en sortir lorsqu’elles vivaient seules, sans « chef de famille ».
J’ai voulu rendre hommage à la Femme… à ces femmes en essayant d’éveiller la conscience collective à travers un drame qui se déroule en 1900 mais qui n’est pourtant pas de l’histoire ancienne.
Actuellement, on continue de prostituer les femmes.
Ma pièce traite de liberté. Liberté de penser et de dire.
Liberté d’exister. Le droit à l’existence, digne et simple. J’ai voulu défendre cette idée à tout prix. Refuser la loi du plus fort. Refuser la soumission et le modèle masculin.
Je me demande ce qu’est intrinsèquement la Femme, quelle image elle a d’elle-même et quel regard la société pose sur elle.
Les intellectuels de l’époque et les médecins les ont analysées, auscultées, observées comme des bêtes sauvages, et ont déduit de nombreuses théories sur elles, sur leurs pensées (pensaient-elles seulement ?), sur leur sexualité (mais en avaient-elles une ?) et ont décidé et parlé pour elles.
Les femmes qui subissent cette vie-là, dont les états d’âme sont d’un moment à un autre en pleine contradiction, ne sont-elles pas le reflet parfait d’une société divisée et en pleine mutation ?
En effet :
- La France est divisée par l’affaire Dreyfus
- Elle est en plein essor industriel ;
- C’est une France où le catholicisme n’est plus la seule et unique religion et où l’état est sur le point de se séparer de l’église ;
- Une France où les femmes commencent fortement à revendiquer leur droit à l’existence, à un autre regard, à une autre place ;
- Où le mariage d’amour commence à apparaître, où le mariage, tradition bourgeoise, se vulgarise chez l’ouvrier ;
- Mais aussi une France qui rayonne par ses ambitions de domination politique et culturelle, qui organise, dans sa capitale, une exposition universelle qui laissera des témoignages indélébiles de grandeur comme les Petit et Grand Palais, le métro, le cinéma, l’automobile… ;
- C’est une France qui ose et qui n’a peur de rien. On se souvient de Félix Faure qui meurt en épectase dans les bras de sa maîtresse ;
- Une France généreuse qui prétend « tendre une main amie » aux pays colonisables et aux personnes les plus défavorisées, et qui commence à reconnaître une sexualité féminine…

Pourtant, la prostitution est le mal de l’époque. (Voir les journaux.) On surveille, on cloisonne, on légifère mais on n’éradique pas. On reconnaît l’utilité de la prostitution mais elle dérange alors on enferme ces femmes, on les répertorie, on les inscrit, on les observe et on en abuse, au point où elles n’ont même plus le droit d’exister pour elles-mêmes.
J’ai voulu un œil extérieur, un peintre omniprésent mais invisible, pour permettre aux spectateurs d’être les témoins directs du vécu de Claudine et de Violette.
Il m’a semblé qu’un milieu clos était l’endroit idéal pour parler de liberté.
Il m’a semblé que les préoccupations de deux femmes soumises étaient sans doute idéales pour traiter de la condition féminine. Elles crachent leur détresse, ces femmes dont tant d’hommes ont parlé, que tant d’hommes ont peintes. Elles prennent la parole.
Enfin, il m’a semblé évident d’écrire un drame.
Ah, la Belle Epoque !
Sous un aspect généreux, je trouve cette période cruelle. Le monde de la prostitution l’est aussi.
Ca m’a donc permis d’utiliser un langage direct, incisif, cru, pour m’exprimer comme je le souhaitais. Comme j’aime parler.
Librement.

 

Mon écriture s’appuie sur une réalité sociale de l’époque.

Quelques repères historiques

Violette dit : « Vas-y aux magasins avec ta chaise pour t’asseoir quand t’es fatiguée ! Ah, ça, ils font des lois ! »
En référence à « la loi des chaises » votée en 1900. Chaque magasin doit disposer d’autant de chaises que d’employées, pour leur permettre de s’asseoir pendant les heures de travail (loi étendue aux hommes en 1987).
Claudine dit : « Elle arrive Place du Palais Royal par l’omnibus du Vésinet et, hop, elle se chope cette saleté ! »
En référence à l’article du Petit Parisien paru le 7 mars 1899.
Extrait : « … Elles viennent de province, ouvrières en quête de travail, des domestiques sans place, des employées que la maladie a privé de leur gagne-pain. Fiévreuses, anémiques, mourantes, elles s’étaient quelques mois auparavant, traînées jusqu’à l’hôpital de leur quartier, puis placées ensuite à l’asile du Vésinet ou à Paris, rue Saint Maur. Echapperont-elles au déshonneur qui les guette, et n’est-ce pas toute leur destinée qui se joue en cette effrayante étape de la rue, où elles gisent, exposées aux pires tentations ? »
Violette dit : « (anti)-dreyfusard… Tant pis pour eux, ils n’ont plus qu’à se taire maintenant ! »
En référence à l’affaire Dreyfus qui fut gracié le 21 septembre 1899.
Claudine dit : « …Cet après-midi, on a marché dans Paris ; 1on s’est même perdus à cause des travaux et des tranchées ! Y a des rues barrées à chaque coin de rue ! Ha, ha, ha ! On ira à l’Exposition Universelle.2 On prendra la plate-forme roulante ! Et les jeudis,3 on guinchera au Moulin de la Galette ! »
1. En référence aux articles du Petit Parisien de mai 1899 : « Les travaux du métropolitain embrouillent un peu le Parisien. Il se perd dans les chantiers, les excavations, les tranchées, les rues barrées… »
2. L’Exposition Universelle de 1900 a aussi bouleversé la vie des Parisiens. On y construisit une plate-forme roulante (trottoir roulant) pour se rendre d’un pavillon à un autre.
3. Les bals du jeudi soir de Moulin de la Galette sont annoncés dans le journal.
« …Les chapeaux, je pourrai au moins les vendre à 30 francs chacun… »
« …Il m’apporte toujours des coupons de tissu des Trois Quartiers : du taffetas Régence, de la louisine, de l’organdi… »
« Prenez garde, Madame, vous commencez à grossir, et grossir, c’est vieillir. Prenez donc tous les jours deux dragées de Thyroïdine Bouty, et votre taille restera ou redeviendra svelte… »
Les tarifs des vêtements, la réclame citée et le nom des tissus sont extraits des réclames de L’Illustration.

Bibliographie sélective

• Le Petit Parisien 1899-1900 : quotidien
• L’Illustration 1899-1900 : hebdomadaire
• La Belle Epoque : Michel Winock
• La Fille Elisa : Edmond de Goncourt
• La Maison Tellier : Guy de Mautpassant
• Les maisons closes : Laure Adler
• Secrets d’alcôves : Laure Adler
• L’âge d’or de la prostitution : Jacques Solé
• L’argot au XXème siècle : Aristide Bruand
• Le XXème siècle des Femmes : Florence Montreynaud
• Règles du savoir-vivre dans la société moderne : Baronne Staffe
www.toulouselautrec.free.fr : site internet