Félix, pièce de ChRistina CRevillén

création Festival Off, Avignon 2008

 

Résumé
Félix est à la rue, sans repos et il pue.
Ce n’est pas de sa faute s’il est déglingué.
La fatigue, la faim, la soif et tous ses souvenirs le rattrapent et
l’étourdissent.
Qu’à cela ne tienne, il positive toujours.
Quand il ne joue pas avec ses pensées, il sème des petits cailloux pour
retrouver cet enfant qui apparaît et disparaît tout le temps. Pour ça, il est
prêt à faire le tour du monde avec son chien en peluche et ses 3,54 $ en poche.
Quand, soudain, dans une grotte inconnue, Félix tombe nez à nez avec le dragon qui tient, là, prisonnier, tout son bonheur…
Note de l’auteure
Ce texte n’est, encore une fois, pas un hasard.
J’ai commencé à penser à la misère humaine quand j’ai visité le Mexique. A chaque coin de rue, un enfant mendie. C’est insupportable. A Acapulco, les enfants demandent aux touristes de lancer une pièce dans le port et se jettent à l’eau pour la récupérer avec la bouche.  C’est leur quotidien. Leur pain.
Nous sommes en 1978 et je ne pensais pas qu’un jour ce serait pire en France que ce que j’avais connu alors, là-bas.

A côté de chez moi, une Femme, réside dans la rue depuis des années. Je me suis dit qu’elle ne pourrait plus se lever à force de rester assise. Ce jour est arrivé : elle est parquée dans un fauteuil roulant depuis des mois. Elle fait sur elle. Elle mange ce que les gens lui apportent. Elle parle avec ceux qui s’arrêtent. Elle demande, de sa voix grave et le regard ailleurs, un ou deux euros à ceux qui ne s’arrêtent pas. Sa puanteur se fait sentir à plusieurs mètres. Elle hurle quand les services sanitaires veulent l’embarquer de force dans leur camion. L’hiver, elle est recouverte de plusieurs couvertures.
Elle veut rester là où elle est. Comme elle est.

Un jour, une autre femme, dans une gare de banlieue, me demande de l’argent. Je lui propose un café et un pain au chocolat. Lorsque j’entre dans le « Relay » de la gare, on me jette un œil mauvais. Nous dérangeons. Ils la connaissent.
Elle me raconte une vie que j’ai du mal à croire ou imaginer : les amis qui l’accueillent ; sa recherche de travail ; son obsession pour certaines choses…
Je suis autant déroutée qu’elle.

Les nouveaux clochards, les SDF, les naufragés comme les nomme Patrick Declerck, marquent notre quotidien. Leurs mots et expressions perturbent. Le regard des autres sur eux, aussi.
Le mien, sans doute, aussi. Leur odeur…
Qu’est-ce qui me fascine ? Qu’est-ce qui me fait peur ?
Une part de moi ressemble à Félix : mon besoin de bonheur. C’est ce que nous recherchons tous, tout au long de notre vie. Non ?
Vivre bien… mieux… Faire le bonheur de nos enfants… Et quand la dépression nous guette, la médecine, les amis… sont là pour nous aider à l’atteindre même artificiellement. Ce serait donc le propre de l’être humain pour survivre ?
J’ai décidé de dédier un texte à ces naufragés en écrivant Félix, du latin
félicitas : heureux. Et je mets leur naufrage sur le compte de leur hyper sensibilité et de leur manque de la connaissance d’une partie d’eux-mêmes. D’un manque certain que je ne sais pas vraiment où situer.
Je ne sors pas indemne de ce travail.
Il n’a pas répondu à mes questions. Il ne m’a pas soulagée. Mais il m’a fait avancer par la prise de conscience de l’existence inévitable de ces personnes qui font partie intégrante de la société. Je les vois. Mais je ne fais rien pour elles. Je ne sais pas le faire. Je ne vois pas comment. Je me sens minable.
Le personnage de ma pièce m’a demandé de prendre position : les aimer ou les détester.
Je me suis approchée de Félix : alors qu’il a tout perdu, il garde l’espoir de retrouver le bonheur. Et j’ai fait de lui un héros. Un saint parfois. Un humain sans aucun doute même s’il est parfois loup, parfois chien, parfois l’enfant qu’il se souvient avoir été. Il imagine, il cherche, il entend, il voit et il pue. Sa propre puanteur le dérange et l’envahit. Il va très bien par moments. Il a de l’humour car il a un recul sur lui-même et emploie de drôles d’expressions. Ses souvenirs sont agréables, décalés, tendres et douloureux. Il a des envies de grands voyages mais ne parvient pas à quitter le minuscule monde de son cerveau.
Pourtant Félix a des hallucinations qui lui permettent de reconstruire,
par étape et autour des cinq sens, le souvenir de celui qu’il cherche et, donc, celui de sa propre enfance.
Sa quête lui donne l’énergie juste et folle pour devenir adulte et, sans doute, pense-t-il, semblable aux autres. Ainsi, il sera invincible à jamais.

Aux Naufragés